12/05/2013

Notre chapelle nous écrit... (1/3)

Voici le courrier lu lors du concert instrumental du 13 avril 2013.

Mes chers enfants,
 
Tout d’abord, je vous demanderai d’excuser mon absence. Pour des raisons évidentes de locomotion, je ne peux physiquement être des vôtres. Néanmoins, rassurez-vous, je garde un œil ému et une oreille attentive sur cette soirée prometteuse.
 
J’éprouve une joie indicible à constater que, malgré la discrétion due à mon encaquement, vous ne m’avez pas oubliée.
 
Depuis des siècles, j’ai été le témoin de la grande et de la petite Histoire de Thuin. Bien des générations d’élèves sont venues animer mes entrailles. Combien de batteries et de tirs m’ont donné le frisson lors des festivités de la Saint-Roch? Au XVIIIème siècle, deux incendies et la fureur révolutionnaire n’ont pas eu raison de moi. A chaque fois, je me suis relevée avec l’aide de mes chers enfants. Que dire de la première moitié du siècle dernier où, à deux reprises, les armées ennemies ont occupé notre ville? Rien de tout cela n’a signifié ma disparition.
 
Dès lors, vous comprendrez mon désarroi quand j’ai compris que le sectarisme de l’administration du patrimoine allait rendre improbable mon entretien routinier par mes propriétaires originels. Jusque dans les années 90, le coût de l’opération se chiffrait à 500 000 € seulement.
 
En 1997, face à cette impasse, en me rachetant, les autorités communales ont joué pleinement leur rôle de pouvoir public puisqu’elles se substituaient à un acteur privé dont l’action était paralysée par une autre autorité publique. Franz Kafka, si souvent étudié par mes voisins de collégiens, doit, de là-haut, forcément sourire.
 
Sauvée, je me pensais sauvée ! Toute guillerette, je me voyais déjà retrouver l’élégance d’antant et être requinquée pour les siècles à venir. Il est vrai que les débuts furent prometteurs. Dès 2000, on me flanquait d’un échafaudage en guise de béquille et une bâche comme couvre-chef. Cette solution devait être provisoire. C’est donc avec bonne volonté que je mis de côté ma coquetterie.
 
Afin de me donner une nouvelle affectation, l’un ou l’autre projet communal a bien germé: salle de danse, bibliothèque… mais ceux-ci sont tous tombés à l’eau.
 
Très vite, les élus locaux n’ont plus eu d’yeux que pour un salvateur investisseur privé faisant ainsi preuve d’une totale méconnaissance des mécanismes qui régissent le marché immobilier. En l’état, une simple règle de trois leur aurait appris que l’opération ne pouvait être rentable à moins que le potentiel investisseur ne se transforme en généreux mécène. Pire, renseignements étaient pris pour envisager de me raser en vue d’aménager des emplacements de stationnement. Curieuse façon de valoriser le patrimoine.
 
Pendant ce temps, à défaut d’un entretien régulier, en bon père de famille, la bâche usée ne me protégeait plus des infiltrations d’eau, des arbustes envahissaient les corniches, des familles entières de pigeons trouvaient refuge dans les combles… et les dégradations incessantes multipliaient le coût initial de la rénovation.
 
J’étais d’autant plus désespérée que mon triste sort ne générait que peu d’indignation hormis dans quelques cercles éclairés. [...]