05/10/2011

Vigilance et circonspection...

Thuin, le 4 octobre 2011

Mesdames et Messieurs les membres du Collège communal,

Nous avons bien reçu le 29 septembre dernier votre courrier-type expédié à l’ensemble des ami(e)s de la Thudinie qui s’étaient émus du triste état de la chapelle des Sœurs grises et de son avenir incertain.

Nous sommes ravis d’apprendre que la sensibilisation et la mobilisation des ami(e)s de la Thudinie combinées aux interventions d’autres acteurs ont permis d’éviter la démolition partielle envisagée. Nous demeurerons attentifs à ce que le démontage des éléments menaçant réellement de chuter soit concrétisé avec finesse et mesure.

Néanmoins, après vous avoir lu avec la plus grande attention, nous devons admettre que nous sommes restés pantois face à certaines affirmations :

• les bruits de démolition. De multiples parties prenantes de ce dossier, divers documents officiels ainsi que plusieurs retours médiatiques dus aux interviews de Monsieur le Bourgmestre faisant fonction attestent que la démolition totale a été envisagée au moins jusqu’en septembre 2011.

• la préservation des finances communales. En l’état, vous préconisez de « restaurer l’enveloppe du bien […] sous couvert d’un subside de la Restauration » soit une aide régionale plafonnée à 80%, pour autant que la destination principale de l’immeuble soit d’un intérêt collectif. Dans le cas contraire, ce taux maximal est limité à 60% (Arrêté du Gouvernement wallon relatif au subventionnement des travaux de conservation des monuments classés – 29 janvier 2009). Or, notre courrier du 30 août dernier plaide pour l’utilisation d’un mécanisme (SAR, art. 167-171 & 453-455 du C.W.A.T.U.P.E.) qui garantit la prise en charge de la réhabilitation de l’enveloppe (châssis, toiture, murs, etc) à 100% par la Région wallonne. Vous conviendrez qu’à ce stade, ce sont les propositions du collectif citoyen qui préservent le mieux les finances communales et donc les intérêts de tous les Thudiniens.

• l’intérêt local du sort de la chapelle. Vous nous écrivez que « le Collège doit veiller à ce qu’un investissement n’hypothèque pas d’autres investissements qui toucheraient tous les Thudiniens et pas seulement les habitants de la Ville Haute ».

Premièrement, nous nous permettons de vous rappeler que cet édifice est classé depuis le 5 avril 1972 ce qui démontre, s’il en était encore besoin, que son attrait patrimonial concerne au minimum la Wallonie.

Deuxièmement, nous désapprouvons toute logique de sous-localisme menant au saupoudrage des moyens et visant à opposer les aspirations et les intérêts des habitants des anciennes communes de l’entité de Thuin. Lorsqu’une cause est juste, peu importe son origine géographique. D’ailleurs, les Thudiniens ne s’y sont pas trompés puisque les soutiens et encouragements proviennent de toute la Thudinie : Thuin (tous quartiers confondus), Gozée, Biercée, Thuillies, Ragnies… Mieux, le mouvement fait tache d’huile et s’étend au-delà des limites communales. Peut-on réduire l’audience du Cercle d’Histoire et d’Art de Thudinie, des Artistes de Thudinie, des Amis de la Potale Saint-Roch de la Maladrie… aux seuls résidants de la partie haute de la ville ? Quel que soit le projet qui sera développé dans la chapelle, peut-on raisonnablement penser que son attraction et ses retombées se limiteront à la ville-haute ?

Outre que le mouvement citoyen transcende l’esprit de clocher, il est également intergénérationnel puisqu’il rassemble tant des jeunes adultes que des aînés de la commune et regroupe des personnes de tous les niveaux socioculturels.

Quant à votre volonté de discuter de l’ébauche d’un projet avec un investisseur privé pour l’implantation d’un hôtel et d’un restaurant au sein de la chapelle Sainte-Elisabeth de Hongrie, nous n’y sommes pas opposés. Le but principal de nos démarches a toujours été d’aboutir à la réhabilitation et la réaffectation du lieu. Afin d’éviter toute désagréable surprise, nous attirons votre attention sur plusieurs aspects du projet tel que connu à l’heure actuelle :

• la viabilité économique d’un tel projet horeca en cet endroit. En Belgique, l’ensemble du secteur horeca souffre d’une rentabilité trop faible. Par exemple, d’année en année, le nombre de cafés baisse inéluctablement. Les restaurateurs ont demandé et obtenu une réduction de la TVA pour les aider à maintenir leur tête hors de l’eau. En Thudinie, la tendance est identique. Pour s’en convaincre, il suffit de noter le roulement incessant dans ce secteur : changement régulier de direction, fermeture suivie, occasionnellement, d’une réouverture de certains établissements, disparition pure et simple de restaurants et cafés malgré de lourds investissements immobiliers ainsi qu’une politique commerciale dynamique. Pour éviter cet écueil, nous préconisons qu’une étude de localisation et d’estimation du chiffre d’affaires soit réalisée aux frais de l’investisseur privé en vue de faire la lumière sur la viabilité de son projet. Parmi les bureaux d’études potentiels, nous vous recommandons le SEGEFA de l’Université de Liège ou l’IGEAT de l’Université Libre de Bruxelles. Tous deux sont réputés pour la qualité de leur travail et leur indépendance.

• la concrétisation réelle du projet privé. Avant d’accorder quelque droit sur le site à un promoteur privé, les autorités locales doivent exiger le permis d’urbanisme, le plan d’affaires (business plan), la preuve d’un financement robuste et une conséquente garantie bancaire. En effet, ce n’est pas le premier promoteur privé que l’on nous promet pour sauver l’édifice. A ce jour, aucun n’a relevé le gant. D’autres exemples viennent aussi à l’esprit :
  • Les privés se sont succédé au chevet du bâtiment dit « Notger » sans succès. Aujourd’hui, ce sont les pouvoirs publics qui ont dû reprendre la main pour l’acheter, l’assainir et constater qu’il faut partiellement le démolir.
  • Il y a quelques années un autre investisseur privé a acheté plusieurs maisons dans la Grand’rue à proximité du Posty des Sœurs grises. Après une longue déshérence et la dégradation des bâtiments, le projet a été définitivement abandonné et les maisons revendues.
• un juste partage des investissements. Considérant les coûts annoncés dans la presse, les surfaces exploitables et la rentabilité du secteur horeca, les professionnels et experts consultés sont très réservés quant à la réussite d’un projet uniquement financé sur fonds privés. Par conséquent, le montage financier devra faire appel aux finances publiques. Par souci de justice sociale, il faut éviter que les pertes soient excessivement collectivisées et les profits totalement privatisés. Le prix de vente ou la location de l’immeuble devra être à la mesure de l’effort financier consenti par les pouvoirs publics puisque la chapelle ne remplira pas un usage à des fins publiques mais uniquement privées.

• l’accès limité à un patrimoine commun. Nul ne conteste que la chapelle des Sœurs grises fasse partie de l’héritage commun des Thudiniens et nécessitera des investissements publics complétés par ceux du promoteur. Outre l’accès lors de la consommation des services horeca, nous plaidons pour que le bâtiment soit visitable gratuitement, au minimum minimorum, pendant les journées du patrimoine voire durant plusieurs week-ends tout au long de l’année moyennant l’accompagnement d’un guide qualifié.

Considérant les incertitudes et inconnues qui planent sur l’hypothétique concrétisation d’un hôtel et d’un restaurant dans la chapelle, nous réinsistons pour que l’ensemble des forces politiques de Thudinie fasse savoir à Monsieur le Ministre Henry que la reconnaissance en SAR de la chapelle des Sœurs grises est la priorité absolue des acteurs locaux. Depuis le 30 août, nous soulignons le fait que cette source de financement est la plus appropriée et qu’elle ne contrarie en rien la réaffectation du bâtiment par un intervenant privé ou public. Votre promoteur peut continuer à plancher sur son projet parallèlement à la poursuite de la procédure SAR. Les délais de l’obtention d’un certificat de patrimoine combiné à un permis d’urbanisme sont tout à fait compatibles avec ceux de cet outil.

Quelles que soient les intentions présentes et futures à propos de la chapelle des Sœurs grises, le collectif demeurera vigilant à toute évolution et suivra le dossier jusqu’à sa concrétisation matérielle finale. En effet, les réparations provisoires ne protègeront efficacement l’édifice que durant deux hivers ce qui signifie qu’au-delà de ce délai, l’état de la chapelle continuera à se détériorer jusqu’à sa disparition.

Afin de se prémunir contre un faux-bond ou l’échec d’un promoteur privé, nous continuerons, avec les acteurs concernés, à élaborer le dossier du projet multifonctionnel (musée de l’Histoire de la Thudinie, salle d’expositions temporaires, de conférence et séminaire, etc) proposé dans la missive du 30 août dernier. La sagesse populaire ne conseille-t-elle pas d’avoir plusieurs fers au feu ?

A propos du projet citoyen de renouveau de la chapelle Sainte-Elisabeth de Hongrie, sachez qu’avant même tout appel public à leur aide, les ami(e)s de la Thudinie ont proposé spontanément leur support sous de multiples formes :
• dons pécuniaires ;
• dons matériels ;
• prêt de locaux ;
• prestations gratuites de professionnels de la construction ;
• prestations gratuites de professionnels des arts graphiques et visuels ;
• prestations gratuites d’artistes.

Quant au volet financier et technique de ce projet, nous vous rappelons que nous désirons toujours assister aux réunions de travail, disposer, au plus tôt, des études et rapports d’expertise (notamment, ceux du bureau aas3 sprl, de l’IPW, d’IGRETEC, etc) ainsi que d’un accès au bâtiment. A ce jour et malgré notre demande du 10 septembre 2011, nous n’avons toujours pas reçu de réponse claire à ce sujet.

Depuis plus d’une décennie, les autorités communales ont promu la démocratie participative. Par conséquent, nous ne doutons pas que vous aurez à cœur de faire toute la transparence sur les données disponibles et de saisir notre main tendue en accédant à nos requêtes légitimes et raisonnables.

En espérant que vous conviendrez du bien-fondé de nos propos et de nos actions, nous restons à votre disposition pour toute explication complémentaire et vous prions d’agréer nos salutations distinguées.

Nicolas Mairy                                                                                                                       François Joye